Sur la muraille de Chine
Marcher : 10 km (aller)
Manger : à Oia
Les lecteurs assidus de marchermanger connaissent l’appétence assumée de l’auteur pour les thèmes mer, volcan et île, et de fait leur surreprésentation statistique dans la production de ce dernier. Le présent post ne fera qu’accentuer ce biais, sorry guys!
Car vous savez tous que Santorin est une île méditerranéenne volcanique.
Où des ânes mélancoliques triment dur, sous l’ œil indifférent de chats faméliques (on est sur une île cycladique). Véhicule privilégié du touriste occidental depuis Stevenson, voire même avant (comment imaginer le Grand Tour sans équidés ?), l’âne santorinois ne porte pas loin mais haut : du niveau de la mer à Firá (altitude : +588 marches). Un téléphérique construit en 1982 (voir ici un article de fond sur le sujet, à quoi bon continuer à décrire le monde alors que tout est déjà documenté ?) supplée au caractère peu fiable de l’espèce asservie (ici un témoignage de la misère existentiel des ânes de Santorin, décidément ce post ne sera que redite) et permet d’augmenter le débit montant de l’espèce dominante.
Après l’ascension, la crête des falaises de Santorin offre un spectacle singulier. Le touriste cinéphile pensera à un processus de colonisation d’une créature exogène, ce que les données statistiques confirment (253,4 lits/km2, soit le record des Cyclades et un score astronomique au regard des performances françaises, lesquelles ne sont pas graduées au-delà de 100).
Certains lits étant également équipés de spa, piscine ou terrasse meublée, voire même d’une chapelle orthodoxe, témoignant d’une stratégie commerciale tout à la fois agressive et originale, que les loueurs Airbnb de la Riviera auront du mal à égaler.
Les investissements consentis par ces munificents entrepreneurs indigènes attirent bien évidemment le chaland, parfois de fort loin. Il n’est donc pas rare de croiser d’honorables visiteurs asiates, dont certains auront bravé les recommandations de leur tour-operator (ne pas sortir de Firá car le meltem a tôt fait d’emporter les poids légers) pour baguenauder sur les sentiers côtiers en tongs et iPhone.
Comment expliquer l’enthousiasme frénétique du tourisme international pour une si petite île ? Parmi les 227 îles grecques habitées ? Les triviaux rouages du marché de l’offre (grecque) et de la demande (chinoise), une pincée de marketing et voilà : 10 000 personnes débarquent chaque jour sur ce vieux volcan pacifique et le rendent infréquentable. Que faire contre un tel succès ? Les autorités promettent d’agir mais le marcheur changera d’île.
Mais reprenons la randonnée et disons un mot du chat cycladique. Tout autant mitraillé que son cousin l’âne, assez peu nourri lui aussi, il ne se plaint jamais, n’ayant pas à endosser la gestion du flux mondialisé des gros culs.
Ici et là, on pourra croiser le résultat des efforts de scénarisation des professionnels de l’office du tourisme ou d’amateurs créatifs. Nul allusion au drame des réfugiés, juste une habile récup d’outils obsolètes, la pêche ayant cessé de nourrir le pêcheur local (lequel a suivi depuis un Fongecif pour se muer en pisciniste). Et de toute façon, il n’y a plus de poisson !
A mi-chemin, on appréciera à sa juste mesure la vue sur la renommée caldeira de « l’île très belle », avant d’aborder la descente vers Oia, ancien village de pêcheurs et d’armateurs, aujourd’hui deuxième Plus Beau Village de Santorin.
Ici encore, le génie urbain cycladique déploie sa maestria en un labyrinthe immaculé de chambres avec spa, édifié par une armée de maçons et peintres roumains.
Les marcheurs encore vigoureux se lanceront dans les escaliers menant au port, où ils croiseront d’autres bêtes de somme chargés d’autres voyageurs du monde.
Dans les restaurants du port, on applaudira les flambeurs asiates s’adjugeant de petits poissons avec de gros billets. Les impécunieux se régaleront de salades grecques et de moules au fenouil sauvage.
Le retour se fera en bus ou à pied, selon l’humeur. L’option pédestre autorisera la visite d’un cimetière où un aéropage de chanceux défunts logés dans des cabines-maussolés vue mer partageront avec le marcheur leur silencieuse conversation.
La journée dans le parc Disney-Santorin gagnera à être couronnée d’une visite au musée préhistorique de Firá, où sont exposées les fresques du site d’Akrotiri. Jeune pêcheur, singes bleus, enfants boxant et prêtresse aux seins nus laveront vos yeux des artefacts de la modernité croisés sur les sentiers de pierre-ponce. Et justifieront à eux seuls le lourd bilan carbone de votre vol international.
L’amusante croisière de la vie pourra alors reprendre son cours.